Les artistes en panne d’inspiration, vraiment ?

Si la crainte d’une crise économique se substitue doucement à la crise sanitaire, beaucoup d’acteur·rices culturel·les réfléchissent aux enjeux futurs (lire Pour une solidarité de proximité) et se remémorent certaines allocutions politiques. “Jambon et fromage” en main, Emmanuel Macron et Franck Riester appelaient en mai dernier à “réinventer la culture”. Alors quoi, la culture est-elle agonisante à ce point ? S’agit-il de (re)bâtir une politique culturelle ambitieuse ? De rehausser les financements ? Au contraire, prépare t-on les artistes à une cure d’austérité ou à les conformer à certains standards ?

Quoi qu’il en soit, il ne faudrait pas que les artistes passent pour ce qu’ils·elles ne sont pas : les responsables d’une crise annoncée, qui plus est par manque de créativité. A titre d’exemple les musicien·nes questionnent perpétuellement leurs pratiques, inventent des expériences, ont l’obsession du contre pied. L’histoire de la musique suffirait à nous convaincre et les artistes ont encore montré combien ils savaient se "réinventer" ces dernières semaines. Voici quelques exemples de projets créatifs, suggérant en filigrane des formes potentielles de la création future. 

Les concerts en live streaming

Evidemment comment ne pas évoquer les concerts à la maison offrant une palette variée en style et en ambiance. Les passionné·es de folk citeront spontanément les sessions au coin du feu dans le ranch de Neil Young. Exercice du fond et de la forme maîtrisé à la perfection par l’icône canadienne qui s’inscrit désormais comme une référence offrant de vrais horizons créatifs (au hasard, imaginez ce que donnerait une scénographie d’un Michel Gondry pour un concert à la maison).

Les sessions au coin du feu de Neil Young

D’autres, clubbers en tête de liste, se souviendront des cloud-rave. Le concept : plusieurs salles de vidéoconférences ouvertes (avec parfois un·e videur·euse à l’entrée) et autant de soirées différentes. Initiés en Chine avant d’être repris un peu partout dans le monde, les cloud-rave soulignent l’importance de la convivialité et l’âme festive de la musique.

C’est d’ailleurs avec cet esprit décomplexée que le chorégraphe Eric Minh Cuong Castaing proposait sa performance Sous influence. 250 participant·es se sont ainsi retrouvé·es via Zoom pour une session de danse collective tentant de libérer les corps confinés. Expérience survitaminée garantie...

Dans cette myriade de concerts, n’oublions pas le remarquable United We Stream où près de 60 lives captés à Berlin, Paris ou Bangkok ont été diffusés sur Arte. A l’instar des Sacem Oxygène, l'initiative se démarque des concerts à la maison ordinaires avec un objectif avoué de récolte de fonds, dons et monétisation des lives streams pour venir en aide aux intermittents, artistes et gérants de clubs.

Car ces dernières semaines ont aussi démontré que la scène musicale savait se serrer les coudes : des collaborations tel que le Music Activists 2020 (From Home) réunissant une trentaine de musicien·nes (Carl Craig, Rone, Léonie Pernet, Deena Abdelwahed…) ou le projet sorore lancé par la rappeuse KT Gorique ont vu le jour dans des délais records et avec des résultats intéressants sur le plan esthétique.

Les concerts virtuels

Parmi les initiatives les plus saisissantes, les concerts virtuels via les jeux en ligne occupent une place de choix. La pratique était déjà existante avant le confinement mais elle connaît une expansion notable ces dernières semaines. En atteste la performance remarquée Astronomical de Travis Scott sur Fortnite en avril dernier, rassemblant au total plus de 12 millions de personnes. Une expérience visuelle convaincante, sans encore en exploiter le plein potentiel (la démocratisation de la VR devrait ouvrir de nouvelles perspectives sensorielles).

Les festivals comme Fire Festival, Block by Block West ou Electric Blockaloo illustrent une nouvelle fois la porosité entre musique et univers virtuels. Un sujet abordé depuis quelques années, par exemple à travers les concerts de la fictive Hastune Miku, star pop au Japon. De quoi montrer que les arts numériques intrinsèquement transdisciplinaires auront un rôle essentiel à jouer.
 

Des expérimentations artistiques

Alors bien sûr les exemples cités doivent être pris comme des expériences et être observées telles quelles. Peut-être ne sont-elles ni pérennes, ni souhaitables. En plus de la question économique, celles non moins importantes de l’écologique et de la durabilité sont devenus non optionnelles. A tel point que certains projets décalés comme les Drive-in ont rapidement été critiqués par le public. Par ailleurs il est évident que ces initiatives essentiellement dématérialisées, ne remplaceront jamais l’expérience live d’un concert. Elles permettent plutôt de penser des dispositifs complémentaires, d’élargir les champs des possibles. Qu’est-ce que la création transdisciplinaire ? Qu’est ce qu’un live ? Quelle expérience sensorielle peut-on proposer (comment ressentir la musique) ? Des questionnements que Stereolux n’a cessé d’enrichir avec le festival Scopitone, Électrons libres ou In·visible(s) coupé dans son élan en mars dernier...

En fait ces créations ont surtout le mérite de démontrer une fois pour toute que les artistes se réinventent en permanence. Maintenant l’enjeu est de savoir avec quels moyens et dans quelles conditions… retour à l’envoyeur !

 

Rédaction Adrien Cornelissen