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Quand les peuples se soulèvent

Partie 3
Carte Stereolux

Face au soulèvement, les pouvoirs en place déploient un arsenal technologique pour maintenir leur emprise. Désormais, les outils numériques sont au cœur des systèmes de surveillance et du contrôle des masses (Clemens Von Wedemeyer, Crowd Control). Mais les artistes se sont réapproprié·es ces armes : le hacking sert autant à dénoncer les violences policières (Thierry Fournier, La Main invisible) qu’à détourner des barricades en place (Jean-Benoit Lallemant, DDoS, Distributed Denial of Service attack, Place de la Bastille). Les artistes font également retentir la voix des peuples opprimés - celles des victimes de systèmes corrompus (Paolo Almario, Marmelade) ou celles d’opposante·s disparu·es (Stéphanie Roland, Missing People - Inventio fortunate). 

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Clemens von Wedemeyer (DE)

Crowd Control (2018)

• Galerie Open School - Beaux-Arts Nantes Saint-Nazaire

En cas de manifestations dans l’espace public, les forces de l’ordre ont pris l'habitude de répéter les procédures de sécurité à travers des simulations de mouvements de foule. Crowd Control est une vidéo d’une vingtaine de minutes qui présente trois scénarios typiques visant à optimiser la coordination des opérations de police. L’artiste porte son attention sur les mesures de contrôle de l’affluence et les observe sous l’angle de la force exécutoire. Avec Crowd Control, les théories sur la psychologie des foules - notamment les travaux du Nobel de littérature Elias Canetti traitant de la montée du fascisme au début du XXe siècle - sont transposées à l’ère du big data, de l’intelligence artificielle et de l’omniprésence des technologies de surveillance. 

Clemens von Wedemeyer est professeur d’arts médiatiques à l’Academy of Fine Arts de Leipzig. Artiste visuel et cinéaste, il a étudié la photographie et les arts médiatiques à la Bielefeld University of Applied Sciences et à l’Academy of Fine Arts de Leipzig. Son travail s’inscrit dans un geste documentaire et démontre que si les outils technologiques par lesquels s’exerce le contrôle évoluent sans cesse, la quête du pouvoir au sein du capitalisme numérique demeure disputée (Emergency Drill Revisited, 2020 ; The Illusion of a Crowd, 2020 ; 70.001, 2019). Les œuvres de Clemens von Wedemeyer ont été présentées au MoMA PS1 de New York, à ARGOS centre d’arts audiovisuels à Bruxelles, au Barbican Art Center à Londres ou au Museum of Contemporary Art de Chicago. 


Programmation : Vstep, Pays-Bas 
Co-directeur : Lukas Malte Hoffmann

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Thierry Fournier (FR)

La Main invisible (2020)

• Galerie Open School - Beaux-Arts Nantes Saint-Nazaire

La série d’images numériques La Main invisible transforme des photographies de presse qui témoignent de violences policières, en effaçant intégralement les policiers de l’image. En soulevant la question de la censure et en faisant mine de s’y soumettre, l’image montre des personnes subissant l’assaut d’entités spectrales qui n’ont plus ni corps ni visage, évoquant alors plus largement l’ensemble des violences qui s’abattent sur elles. 

Le terme de « main invisible » est un des concepts historiques du libéralisme, qui postule que la somme spontanée des actions du marché conduirait au bien commun. Il est aussi utilisé pour désigner une pression qui s’exerce sur un auteur·trice ou un·e journaliste. Cette série a donné lieu à une étroite collaboration entre l’artiste et les photographes des images initiales. 

Thierry Fournier est artiste, auteur et producteur. Sa pratique aborde des questions d’altérité, de coprésence et de socialité. Ses œuvres, régulièrement exposées en France et à l’international, prennent la forme d’installations, d’objets, d’œuvres sur internet, de vidéos, de dessins ou de performances. Thierry Fournier est également curateur. Il a notamment assuré le commissariat de “Que puis-je pour vous ?”, exposition solo de l’artiste californienne Lauren Lee McCarthy, présentée au Lieu Unique à Nantes durant l’été 2024. 


Série de 8 images numériques, impressions fine art sur dibond, 75 x 50 cm, 2020
Créées à partir de photographies et avec l’aimable autorisation de NnoMan, Amaury Cornu, Benoît Durand, Anne Paq, Julien Pitinome, Kiran Ridley et Charly Triballeau.
© Thierry Fournier - ADAGP 2020

 

Crédit image : Thierry Fournier, La Main invisible #2, tirage pigmentaire contrecollé sur aluminium, 75 x 50 cm, 2020, d’après une photographie de Anne Paq, manifestation féministe du 7 mars 2020 à Paris - © Thierry Fournier - ADAGP 2020

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Jean-Benoit Lallemant & Richard Louvet (FR)

DDoS, Distributed Denial of Service attack, Place de la Bastille (2015)

• Halles 1 & 2

DDoS, Distributed Denial of Service attack, Place de la Bastille est une installation de 10000 pavés en papier disposés en barricade, symbole de lutte contre l’autorité des pouvoirs en place. Chaque pavé représente un fragment d’image (ciel, revêtement, habitation, véhicule, végétation ou simple badaud) de l’ensemble du Google Street View de la place de la Bastille. Le passée révolutionnaire de cette place est ici mis en écho avec le rôle prédominant que joue l’internet dans les soulèvements populaires. DDoS, Distributed Denial of Service attack, Place de la Bastille incarne à partir d’une simple ramette de papier déployée dans un espace physique, la technique de hacking homonyme. Une attaque DDoS consiste à saturer un site par l’attaque simultanée de bots, à entraver la capacité à gérer ces requêtes et à bloquer son fonctionnement. Ce chaos de textures photographiques offre une perspective sur les révolutions connectées.

Le travail de Jean-Benoit Lallemant analyse la place de la représentation dans un monde rythmé par les technologies de la communication. Les procédés formels bruts et dépouillés qu’il emploie (Massification, 2015 ; Materialism, 2016-2017…) permettent par contraste de mesurer l’influence du numérique sur des phénomènes perçus comme nouveaux. En plaçant ses travaux dans une perspective politique, Jean-Benoit Lallemant met en évidence les stratégies de gouvernance (Full Transparency, 2017…). Ses œuvres ont été présentées à la Biennale Némo ou à la Biennale internationale d’art numérique de Montréal. 


Jean-Benoit Lallemant - Richard Louvet
10 m3, 10 000 cubes en carton, numérotés de 1 à 10000, pliés en 10×10 cm chacun.
Chacun est imprimé avec une image différente sur Invercote G 260 g/m2.

Partenaires :
Imprimé sur Invercote G 260 g/m² produit par Iggesund Paperboard.
Façonnage, Imprimerie des Hauts de Vilaine.

Remerciements : Kevin Lafaye, concepteur du logiciel.

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Paolo Almario (CO/CA)

Marmelade (2024)

• Galerie Open School - Beaux-Arts Nantes Saint-Nazaire

En Colombie, “marmelade” est un mot couramment utilisé pour faire référence à la corruption au sein du pouvoir politique. Lors des premières itérations de l’œuvre, une machine imposante, froide et tranchante se met à détruire plusieurs portraits de juges de la Cour suprême de la Colombie. Ils sont composés de milliers d’étiquettes de confiture colombienne qui sont arrachées au fil du temps. Ces visages émiettés sont ceux des magistrats qui, à partir de faux témoignages, ont signé l’ordre d'arrestation du père de l’artiste en 2012. Considéré comme un prisonnier politique, ce dernier a passé plusieurs années derrière les barreaux jusqu’à sa libération en 2016. En 2023, au moins trois de ces juges ont été poursuivis pour corruption, l'un d'entre eux étant incarcéré, un autre ayant fui au Canada. 

Ce projet est né d‘un mouvement activiste qui a eu lieu de 2013 à 2016 durant lequel l'artiste a cherché l'attention et l'examen international pour le procès légal de son père. Pour Scopitone 2024, l’artiste présente trois portraits inédits des acteurs judiciaires colombiens qui persécutent encore sa famille.

Marmelade dévoile de manière métaphorique et intime la complexité d’une structure politique et invite les spectateur·rices (assis·es devant une table, du pain et de la marmelade à disposition) à questionner les pouvoirs en place. 

Artiste d’origine colombienne établie au Canada, Paolo Almario est diplômé de la Facultad de Arquitectura y Diseño de l'Universidad Los Andes à Bogota, en Colombie et d’une maîtrise en arts à l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Paolo Almario utilise les technologies numériques pour collecter, analyser, coder, traiter et transformer des échantillons de la réalité en une variété de formes artistiques (Entropie, 2023 ; Léviathan, 2017 ; Cubos, depuis 2014). Ses œuvres à mi-chemin entre installation, art logiciel et art robotique ont été exposées au Canada, au Maroc, en Colombie, en Italie, en Belgique, en France et en Thaïlande.


Marmelade est une œuvre de Paolo Almario
​© Photo : Paolo Almario
Aide à la production : 
Conseil des arts et des lettres du Québec, Conseil des arts du Canada, Ubchihica : Recherche et création en arts numériques, Stereolux/Scopitone

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Stéphanie Roland (BE)

Missing People - Inventio fortunate (2022-...)

• Galerie Open School - Beaux-Arts Nantes Saint-Nazaire

S’appuyant sur une base de données compilant les portraits de personnes portées disparues à travers le monde, une intelligence artificielle génère de nouvelles images. Ce sont celles des disparu·es. Stéphanie Roland travaille ensuite selon un procédé expérimental : les portraits ont été inscrits de manière cachée sur les lentilles optiques. A première vue, elles semblent ne contenir aucune image, jusqu’à ce qu’elles soient éclairées par une lumière directe. Missing People - Inventio fortunate est né de l’indignation de l’artiste face à certains régimes de dictature militaire (Pinochet au Chili, Videla en Argentine…) où la disparition d’opposante·s au régime, en jetant leurs corps à la mer, est une pratique courante. Elle laisse les familles dans une attente interminable, sans aucune possibilité de retrouver leurs disparu·es et d’en faire le deuil. C’est dans cet état de latence, entre souvenirs et mélancolie, que l’artiste nous transporte au gré de visages étranges mi-réels, mi-fictionnels. 

Stéphanie Roland est une artiste visuelle et réalisatrice. Ses films et installations explorent, entre le documentaire et l’imaginaire, les structures invisibles du monde occidental. À l’image de ses films Podesta Island (2021) ou Deception Island (2017) - elle puise son inspiration dans des champs variés comme l’écologie, la géologie ou le cosmos. Diplômée de La Cambre et du Fresnoy - Studio National des Arts Contemporains. Son travail est présenté par des institutions et des grands événements internationaux comme le Louvre, la Biennale internationale d'art de Kampala et le Wiels, la Biennale de Venise, les Rencontres Internationales Paris / Berlin… Son œuvre Science-fiction Postcards (2013) a été présentée en 2023 au festival Scopitone. 


Avec le support du programme “Mondes nouveaux” du ministère  de la Culture (France relance), Next generation EU, et de la Commission des arts numériques de la Fédération Wallonie-Bruxelles.