Athènes underground
Tenter de dresser un rapide historique de la musique athénienne est infailliblement un coup à se casser les dents. La musique en Grèce, c’est une histoire qui puise partout ses origines. Dans son folklore, son antique histoire, son actualité brûlante.
Passons sur les redites infinies au sujet de la démocratie et de la philosophie, il est aussi bon de rappeler que la Grèce est une nation composite aux mille populations et occupant·es qui l’ont traversée. Mais son futur s’écrit encore, elle qui est l’une des dernières grandes brûlées de l’austérité d’un grand projet néolibéral mondial, et la porte d’entrée étriquée et dangereuse des migrations en cours des pays du Moyen Orient vers l’Europe. Si la Grèce reste, aujourd’hui encore, le carrefour du monde, Athènes, capitale antique, ne l’est redevenue qu’en 1834, et sa culture - donc sa musique - est à l’image de son pays : un nouveau départ, un croisement. N’en déplaisent aux politiques de repli identitaire qui y sont actuellement à l'œuvre.
Entre la musique jouée pour les touristes (rebetiko occidentalisé, danse sirtaki inventée dans le film Zorba Le Grec, bouzouki partout, justice nulle part) sur le parvis d’un Parthénon sous 50°C ou celle des lieux de concerts (Gazarte, Fuzz Club, Temple Athens, Kyttaro, Stavlos, Gagarin) dans les dédales infinis de la capitale refondée au 19ème siècle, il y a un fossé. Il sépare deux mondes, entre légende exportable et vie de l’intérieur. A l’heure où une partie de sa ville est vidée de ses habitants par AirBnb, on peut quand même peindre le tableau d’une culture vivante. Et non, il n’est ici ni question de Nana Mouskouri ni de Demis Roussos, désolé maman.
Des artistes nombreux·ses
Athènes est en revanche le lieu de naissance sinon de renaissance de grands mythes contemporains des musiques électroniques A/V : ambient, expérimentale, techno-pop, arrangements. Iannis Xenakis d’abord, artiste hors-classe qui a touché à l’architecture, à la musique contemporaine, à la notion d’espace-temps, aux mathématiques… Créateur de la musique stochastique, il est le premier Européen à utiliser un ordinateur pour composer. Lorsqu’il arrive à Athènes, la guerre éclate, et il entre en résistance contre les Italiens, contre les Nazis puis contre les Britanniques pendant la guerre civile. Metastasis, l’une de ses principales œuvres, en est directement inspirée : sons de manifs, tirs de la répression, slogans, cris, mouvements de foule. Citons également le maître de la BO, Vangelis, qui a étudié aux beaux-arts d'Athènes. Il est alors le seul à l’époque à posséder en Grèce un orgue Hammond. Auteur de soundtracks mythiques (Blade Runner, 1492: Christophe Colomb, etc), et camarade de Jean-Michel Jarre, Klaus Schulze et Kraftwerk, il joue à merveille un jeu entre orchestre et électronique, entre nouvelles technologies et mythes grecs antiques. Autre grande histoire, la compositrice et pianiste Lena Platonos, qui a grandi à Athènes, a composé des centaines d'œuvres, arrangé des chansons pour John Lennon, et est considérée comme l'une des pionnières de la musique électronique en Grèce. Depuis de récentes rééditions, elle est à nouveau acclamée par la scène électronique actuelle (Red Axes, FACT Magazine, Boiler Room, Beats in Space). Allez une dernière figure athénienne méconnue, Magic Alex, qui n’est ni plus ni moins un technicien électronique de génie ayant bossé avec les Beatles à la fin des années 1960, à la tête du label du groupe superstar, et dont McCartney l’appellera le “magicien grec”. Leur histoire sera très teintée de bip bip de machines et de l’ingestion d’une quantité non négligeable de LSD.
De cette génération d’ancien·nes, il reste l’histoire. Mais chez les plus jeunes, dans l’indé plus ou moins grand public, le bouillon de création en cours fait chauffer le calcaire de la ville. Vous devez écouter les délires vocaux à la production ciselée de Marina Satti, chanteuse gréco-soudanaise basée à Athènes, sorte de réponse hellénique à Rosalía, dont elle ne partage pas encore les milliards mais au moins les millions de vues. Vous devez vous plonger dans la pop parfois très orchestrale, parfois carrément lofi de la grande Nalyssa Green.
"Pali" est extrait du dernier album de l'artiste Marina Satti, YENNA, sorti en mai 2022.
On poursuit ? Allez. Présente à Stereolux lors de la prochaine édition de Stereotrip dédiée à Athènes, Danai Nielsen, de ses allers et retours entre trip-hop, ambiances post-apo et travestissements futuristes, est l’artiste à réserver pour tous vos trajets à venir, casque vissé, barrière anti-monde réel. Et quitte à donner dans le kitsch, une dose de trip-hop cheesy n’a jamais fait de mal, et les atmosphères enfumées de Keep Shelly In Athens, composé de la chanteuse Jessica Bell et du producteur RΠЯ, rappellent à la louche les 90s dans l’Angleterre des raves, Dido et Tricky.
Danai Nielsen a lancé sa carrière solo en 2019. Avec son premier album "Who Are They", elle s'oriente vers une pop/electro colorée et espiègle.
Continuons sur notre lancée. On n’entend plus trop parler des folk addicts athéniens Baby Guru depuis plusieurs années, mais si vous voulez de l’actu cold wave chanté en grec, The Callas est le groupe qu’il vous faut. Et comme Stereolux a eu la bonne idée de recruter la compositrice, artiste visuelle et performeuse Σtella pour Stereotrip, l’occasion était trop belle pour ne pas s’y attarder. Une présence, une voix. Des synthés, joyeux drilles et fantômes inquiétants, l’accompagnent tels des camarades plus que de simples boucliers d’effets.
Née Stella Chronopoulou, l'auteure-compositrice-interprète a perfectionné ses compétences de multi-instrumentiste tout en fréquentant l'École des beaux-arts d'Athènes et en collaborant avec de nombreux·ses artistes de sa ville.
Les festivals de la capitale à ne pas manquer
Pour celles et ceux qui auront la chance de fouler le sol athénien où qui y résident, de nombreux festivals joncheront la route de votre calendrier de l’année. Et il y en aura évidemment pour tous les goûts, que vous soyez pop et rockstars à l’Ejekt, au Rockwave ou au Release, musiques électroniques et expérimentales au Plisskën, musiques émergentes grecques à la Athens Music Week, musiques folkloriques et populaires au Athens and Epidaurus, ou techno / house à l’ADD ou à l’Odyssia.
Les meilleurs clubs
Et question clubbing, impossible de ne pas trouver un club de qualité dans la cité grecque. Athènes étant trop éblouissante de jour, il est évident que son dancefloor y trouve son lot d’oiseaux de nuit qui n’attendent que le lever du jour pour imaginer un éventuel retour à la maison. Héritage des raves trance des années 90 (Alsos, Inofita, Plus Soda), les clubs d’aujourd’hui ratissent large les musiques électroniques. Ils s’appellent Aston, le Six DOGS ou le Romantso, jouent de la techno, du post-club, de la jungle, bref tout ce qui kicke, et sont au devant de la scène électronique. On y a vu grandir nombre d’artistes. Stevie R, d’abord, qui combine à merveille le rebetiko avec de l'électronique analogique. Morah, ensuite, le producteur et résident des teufs. Phormix avec son crew Frequency Control à Athènes, qui est devenu l'ambassadeur de la musique électronique athénienne à l’étranger, depuis que sa renommée (dont la prêtresse Helena Hauff n’est pas en reste) n’est plus à faire. Anestie Gomez, dj et résident du club Six DOGS, et dont la tech house est bien connue des locaux. Sawf, qui fait le bonheur du label Perc Trax, du ponte de la techno industrielle anglais Perc. Ou encore Miltiades, dont la deep house la noise se marient pour un son original et largement bienvenu. Les labels s’appellent Revolt!, Echovolt, Equivalence ou Into The Light, et vous permettront d’appréhender cette scène avec précision.
Il est toujours très ambitieux et souvent faux de parler de “scène musicale” à l’heure où un musicien·ne sénégalais·se, vietnamien·ne et slovène peuvent se connecter et composer à distance des musiques mixant leurs technologies, leurs imaginaires et leurs patrimoines respectifs. Si le folklore rebetiko et les pionnier·res du bidouillage électronique ont laissé leur empreinte sur Athènes et la Grèce pour un bon paquet de temps, de nombreux groupes et collectifs de créateur·rices comptent cependant bien faire entendre leur voix. Révolutionnaire ? Pas forcément. À leur image ? Evidemment.