Et si on parlait de la Moroccan Touch ?

Parmi les scènes électroniques et numériques underground actuelles, le Maroc s’est fait une place de choix. De par son inventivité, sa variété d'artistes et de styles et surtout par un affranchissement des clichés exotiques qui lui a longtemps collé à la peau, la scène marocaine revendique désormais une authenticité et une effervescence des plus remarquables. En perspective de la soirée Stereotrip prévue le 29 avril et du partenariat entre Stereolux et le Lab Digital Maroc, voici un coup de projecteur sur quelques artistes et structures culturelles notables qui contribue à faire émerger une Moroccan Touch

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Un underground issu des années 90’s

Les années 90 ont vu naître une multitude d’artistes electro au Maroc. Grâce à la démocratisation des machines, musicien·nes et producteur·rices ont offert de nouvelles interprétations aux musiques traditionnelles et créé des formes musicales complexes. En témoigne l’apparition de labels tels que Barraka El Farnatshi, pionnier dans le mélange de sonorités ancestrales et de styles contemporains (dub, trance, house, techno…), et l'émergence d’artistes tels que Aisha Kandisha’s Jarring Effects (AKJE), Amïra Saqati, Mara & Jalal ou Khalid Fikri

Ces artistes, sont à l’image de la diversité du Maroc - pays  arabo-berbère au patrimoine musical d’une incroyable richesse (entre autres le chaâbi, le melhoune, le gnawa ou le hassani) - et inspireront les générations futures par une approche avant-gardiste faisant usage de boîtes à rythmes, de séquenceurs ou de synthétiseurs. Les sets de Guedra Guedra, artiste programmé lors de la soirée Stereotrip du 29 avril, sont à eux seuls un condensé de cette musicologie marocaine.

Le temps des acculturations

L'acculturation musicale franchit un nouveau cap à partir des années 2000. D’abord par une offre de festivals en constante évolution au Maroc ; même si à contrario il semble encore complexe de trouver des clubs où la liberté musicale prime. Si des événements comme L'Boulevard créé en 1999 sont bien installés dans le paysage, d’autres plus récents comme l’Atlas Electronic Festival à Marrakech, l’Oasis Festival, organisé dans des lieux exceptionnels ou encore le Moga Festival à Essaouira dans une tonalité lounge, forment désormais une offre complète pour les amateur·rices de cultures électroniques. 

Ensuite les artistes ne sont pas circonscrits aux frontières marocaines et intéressent un public plus large, international. Cause et conséquence, de nombreux·euses artistes de références ont vécu dans des villes à l’étranger et plusieurs collectifs ont ainsi vu le jour en France, accélérant les influences réciproques (comme Paradox, collectif marseillais qui sert de passerelle entre les deux rives méditerranéennes). Les artistes Lina Benzakour et Sinclair Ringenbach ayant vécu à Marseille s’inscrivent dans cette lignée. Ensemble ils portent Caïn و Muchi, programmé le 29 avril prochain, un projet hybride qui fusionne musiques traditionnelles du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, le tout porté dans un univers dark où se mêlent battements électroniques et pulsions percussives.

Quoi qu’il en soit, plusieurs artistes marocain·es s’adressent désormais à une communauté internationale et sont désormais sous le feu des projecteurs avec quelques têtes de proue comme Amine K (concepteur du collectif Moroko Loko).

Une scène d’artistes engagé·es

C’est aussi le cas de يثيثر٥٥Glitter, artiste invitée au prochain Stereotrip, qui est devenue en quelques années seulement une référence incontournable de la scène electro marocaine. Son secret ? Une techno puissante inspirée d’influences orientales. Mais également grâce à un engagement politique multiple : يثر٥٥Glitter dénonce la mode surfant sur l’ “exotisme” des musiques électroniques du Maghreb autant qu’elle défend les libertés d’expression pour les artistes. Elle se revendique avec brio d’une nouvelle génération capable d’explorer leur héritage pour le propulser tout droit dans le futur. 

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يثر٥٥Glitter, référence de la scène electro marocaine présentera un projet audiovisuel réunissant ses compositions et des projections.

Dans un autre style musical mais tout aussi radicale, la rappeuse Khtek (« ta sœur » en marocain), également programmée à Streotrip, défend un rap engagé et sans détours. Jonglant avec les langues - arabe marocain, français et anglais - Khtek infuse un certain lâcher prise qui tranche avec l’importance de son message. Déjà en 2020 elle critiquait les inégalités au Maroc et les conditions de vie des femmes dans une société patriarcale, notamment à travers son titre Kick Off.

L’hybridation des cultures électroniques

Si l’univers musical a donc bien entamé sa mue, les arts plastiques et visuels ne sont pas en reste et l’hybridation avec les cultures électroniques prend un nouveau virage. En témoigne le Lab Digital Maroc, initiative portée par l’Institut Français du Maroc et située au sein de l’Institut national des Beaux-Arts de Tétouan. Ce laboratoire offre un espace de création aux porteurs de projets multimédia notamment autour des arts numériques, de la réalité immersive, de l’animation et du jeu vidéo. Stereolux accueille pour la deuxième année plusieurs artistes en résidence et qui présenteront le 29 avril prochain la vitalité des arts numériques marocains. 

Les artistes Amine Asselman, Soukayna Belghiti, Rachid Benyaagoub, Jad Mouride, Mouad Laalou et Zineb Sekkat présentent 4 installations : plusieurs d’entre elles questionnent des thèmes engagés comme le pouvoir de surveillance, les libertés individuelles ou notre rapport aux écrans. 

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Image tirée du projet Miroir d’écran de Rachid Benyaagoub, qui questionne notre consommation d'images via les écrans.

En définitive, cette nouvelle génération d’artistes au Maroc qui revendique liberté, création et engagement politique semble avoir pris le meilleur de son héritage culturel sans être écrasée par son poids. Ces femmes et ces hommes, ces muscien·nes autant que ces artistes multimédias, ont toutes les cartes en main pour écrire un nouveau chapitre de leur histoire culturelle, celui de la Moroccan Touch

Article écrit par Adrien Cornelissen