Hyper Nature : l'écologie sous divers angles
A l’occasion de sa 19e édition, le festival Scopitone présente une sélection d'œuvres questionnant notre rapport - celui des êtres humains - à la nature. Les artistes de cette exposition collective partagent un point commun : leurs travaux permettent une compréhension des enjeux actuels et offrent de multiples interprétations du monde à venir. Pour autant, ne tombez pas dans le piège de croire que tous et toutes portent une parole commune. C’est d’ailleurs l’intérêt de cette exposition : judicieusement nommée Hyper Nature, elle traite de sujets écologiques au sens large. Chacun d’entre eux est abordé sous un angle singulier. Ainsi certain·es artistes assument volontiers leurs pratiques militantes et activistes quand d’autres préfèrent reproduire la splendeur des phénomènes naturels. Certain·es évoquent ouvertement la notion d’anthropocène (le terme qualifie notre époque où l’impact des êtres humains sur l’environnement est plus important que les forces géologiques existantes), quand d’autres s’intéressent avant tout aux puissances invisibles et aux éléments.
Des oeuvres sensibilisant à la fragilité du Monde
Les lignes suivantes permettent de saisir la richesse d’Hyper Nature et de découvrir, en guise de teaser, quelques artistes explorant cette vaste notion d’écologie. En premier lieu, peut-être faut-il souligner les artistes comme Barthélemy Antoine-Loeff qui, inquiet·es de l’état du monde invitent à prendre la mesure de l’urgence et se muent en sorte de lanceurs d’alerte. Ainsi Tipping Point met en scène la naissance d'un glacier artificiel de façon poétique et sensible. Disposée sous une cloche, une culture d'eau à l'état solide grandit par un système de goutte à goutte. Elle symbolise la lente création - et par déduction l’extrême fragilité - des glaciers en formation. “Je suis un artiste engagé, voire militant. Avant d’être plasticien, j’ai été réalisateur de documentaires sur des questions environnementales, et mon travail actuel explore un certain nombre de questions liées aux dérèglements climatiques, à l’exploitation des ressources naturelles, à la disparition des glaciers.” exprime Barthélemy Antoine-Loeff. “J’ai une affection particulière pour tout ce qui touche aux zones boréales et polaires, arides d’humanité, hostiles et pourtant pleines de vie. Ce sont des territoires qui ouvrent à la contemplation, à la rêverie. J’essaie de me faire le passeur d’une sensibilité de ce monde qui disparaît…” ajoute t-il. Le collectif HeHe est encore plus explicite sur l’état de la Terre : Laboratory Planet II consiste à exposer un globe terrestre au centre d’un aquarium rempli d’un liquide vert fluorescent. La sphère tournant sur son propre axe est ici contaminée et est considérée comme un laboratoire expérimental dont les conséquences semblent imprévisibles. Une prise de position, disons-le, peu optimiste.
Réflexions sur la notion du vivant
Une fois le constat de l’état du Monde posé, d’autres artistes s’interrogent sur différents aboutissants notamment sur la cohabitation entre les êtres humains et le vivant sur Terre. Elise Morin qui présente Spring Odyssey s’inscrit logiquement dans cette pensée. Son travail consiste en la création d'une plante réactive au stress radioactif. Des jeunes pousses porteuses d'une mutation naturelle agissent comme un “bioindicateur” de cette force invisible. La plante a ensuite voyagé dans la “forêt rouge” - lieu hautement radioactif à proximité de Tchernobyl - et a ensuite muté. L’artiste invite à une réflexion sur les rapports qu’entretiennent les êtres vivants. “Il s’agit de se positionner d’égal à égal avec tous les êtres - humains, animaux, végétaux, minéraux, technologiques ou même les déchets radioactifs. Entre fragilité, force et résilience, notre relation à ce monde s’esquisse à travers la complicité tissée avec la plante mutante, fil rouge de l’expérience. Si cette forêt est synonyme de désastre et de no-man’s land, le projet Spring Odyssey, qui comprend aussi une application en réalité augmentée, choisit de se pencher sur les plantes et les animaux qui vivent avec les radiations. Il s’agit de repenser le monde à partir de tous les organismes vivants.” explique Elise Morin. “L’intention générale est de partager des expériences qui tentent de déplacer les discours apocalyptiques, contemplatifs ou sidérés.” ajoute-t-elle.
Montrer les puissances invisibles de la Nature
La radioactivité au cœur de ce dernier projet artistique fait également écho aux éléments physiques présents dans les travaux de Claire Williams. Elle précise son dessein : “Mon approche cherche à mettre en lumière notre environnement par les flux d’énergies invisibles qui nous traversent. Allant des ondes électromagnétiques artificielles comme celles radios ou GSM par lesquels transitent nos voix, signaux, donnés… (Les Aethers) aux ondes qui nous traversent depuis le cosmos (Zoryas)”. Dans cette dernière œuvre, six formes chimériques transparentes trônent au centre d’un grand disque plat. Elles contiennent une matière-énergie de teinte et de structure à nulle autre égale. On y retrouve plusieurs éléments du milieu interstellaire : argon, néon, krypton, xénon, nitrogène... sous forme de plasma. Quatrième état de la matière - composant 99 % de notre univers visible - le plasma pulse, ici, au rythme de l’activité électromagnétique du soleil. Claire Williams ajoute : “Ce qui personnellement m’émeut c’est la puissance des forces de(s) “la nature(s)” , là ou elles nous apparaissent impondérables et incommensurables. Par exemple, les forces opérant à des échelles cosmiques. Elles dépassent notre humanité dans le temps et l’espace. À notre échelle, les écosystèmes dans lesquels nous vivons sont complexes et fragiles mais notre humanité l’est encore plus : elle peine à coexister et travailler sur ces interrelations entre humains et non humains.”
Elargir la notion de vivant à travers l’art et les technologies
D’autres artistes comme Justine Emard pousse la réflexion du vivant à d’autres êtres intelligents, notamment les algorithmes et autres Machines Learning (entendez ici les intelligences artificielles). Supraorganism présenté sur cette exposition est composé d’une vingtaine de sculptures de verre robotisées animées au moyen d’une IA. L'œuvre s’inspire du comportement des abeilles. Grâce à des capteurs ambiants, elle réagit de manière subtile à la détection du public et s’adapte à leur présence. “La nature est une invention humaine, tout comme la technologie. De plus, tout est issu des mêmes atomes. Il y a une longue tradition de biomimétisme dans les sciences et les technologies jusqu’aux manipulations biologiques et génétiques. Pour moi c’est une question de flux, de collaboration et de considération mutuelle entre les êtres humains et non-humains. J’aime m’inspirer des systèmes organisés et intelligents déjà présents autour de nous, leur laisser une voix.” détaille Justine Emard pour qui il n’y a donc pas d’opposition directe entre technologie et nature.
Un propos que partage à sa manière Sabrina Ratté avec son projet Floralia : “À mon avis, la nature cohabite déjà avec la technologie. Son existence est profondément transformée par les actions des êtres humains. Floralia propose une réflexion sur cet état de choses en imaginant un futur spéculatif, où la nature, telle qu'on la conçoit, serait conservée dans une salle d'archive virtuelle comme les vestiges d'une autre époque. L'intention de l'œuvre n'est pas de créer un message d'alerte, mais plutôt d'inviter à se plonger dans une expérience poétique et méditative sur la relation entre passé, présent et futur, nature et technologie, ainsi que sur notre rapport subjectif face au virtuel et au réel.”
Les quelques artistes cité·es illustrent la diversité de l’exposition Hyper Nature et des courants de pensées artistiques quant aux sujets liés à l’écologie. Finalement, si les prises de position divergent ça et là, ces artistes participent à la lecture du passé, du présent et du monde à venir. Ensemble elles·ils narrent un monde fragile, complexe et imprévisible. Quoi qu’il en soit, ces œuvres forment un vaste récit, riche de probabilités et de scénarios, loin d’une vision écologique manichéenne. Bref une véritable respiration intellectuelle, esthétique et sensorielle.
Article rédigé par Adrien Cornelissen
Note : Les artistes Laura Colmenares Guerra, Mathilde Lavenne, Pepa Ivanova, Luce Terrasson, Collectif Cela, Guillaume Cousin, Cécile Beau, Anne-Sarah Le Meur et Anna Ridler font également partie de l’exposition Hyper Nature et contribuent - chacun·e à leur façon - à enrichir les propos précédemment évoqués.