L'helvete underground
La Suisse est depuis des années un lieu d'inventivité et d'initiatives. Il fallait donc se remettre à la page et partir à la découverte de ce surprenant pays. Nous avons choisi d'effectuer ce voyage, en compagnie d'Anya Della Croce, la pogrammatrice du festival for noise, à Lausanne.
Lyonel Sasso
Il existe un petit territoire où se déroule une multitude de festivals, où la scène musicale - pléthorique - ne cesse de se réinventer. Cet Eldorado reste encore fortement méconnu dans l'hexagone. Il s'agit de la Suisse. On ignore beaucoup de son passé musical récent, ce pays demeure une sorte de Bermudes ou d'espace fantôme imbriqué entre la France, l'Italie et l'Allemagne. Il y a et il y a eu des positions claires, pourtant.
Des briques rouges politisées de la Rote Fabrik (haut-lieu culturel zurichois) aux éclaircissements nécessaires du documentariste Fernand Melgar, le pays connaît ses soubresauts. Le début des années 80 démarre sous une forme de radicalité - il n'existait pas d'endroits où se produire pour la scène alternative. L'état subventionnait les opéras municipaux, gérant son budget de façon drastique, et laissait la jeunesse dans les friches. Le pays fut traversé par de multiples vagues de contestation, plus ou moins violentes, touchant aussi bien Zurich que Lausanne. C'est dans cette atmosphère qu'un groupe comme les Young Gods ou encore Stephan Eicher ont fait ses premières armes lors de concerts sauvages, dans des maisons délabrées et autres squats.
La priorité était de créer des lieux et tout un réseau
Pour reprendre la psycho-géographie situationniste, il existe bien des spécificités, des humeurs selon les villes : Lausanne est rock (120 Secondes, Larytta et les fameux Explosion de Caca). Genève fournit actuellement la scène la plus hétéroclite: Hell's Kitchen, La Forêt, Orchestre Tout Puissant et Rootwords. Anya Della Croce confirme: "Kid Chocolat est un acteur important à Genève. Il a d'ailleurs créé son propre label: Poor Records. Neuchâtel est aussi une ville étonnante et dynamique (Flexfab, Muthoni The Drummer Queen). Certains artistes comme Murmures Barbares, qui viennent eux aussi de Neuchâtel, se produisent au sein d'un collectif - Michigang.
C'est un projet centré autour de la culture rap où plusieurs domaines se croisent : la musique, la photographie et le graphisme entre autres. Pour autant, les structures collaboratives ne semblent pas majoritaires en Suisse. Mais au final, pas mal de projets découlent d'une envie collective. Pour For Noise, c'est parti d'une bande de potes qui s'est lancée dans l'exploitation d'une petite salle située dans un local de Scouts..." Une histoire qui rappelle la naissance du festival des Vieilles Charrues.
Cette genèse, Anya Della Croce ne l'a pas connue, mais elle en reconnaît facilement les fondations
"De cette période sont nés beaucoup de clubs. La revendication, c'était d'avoir des lieux. Pour se rassembler, pour créer. La Rote Fabrik à Zurich, Fri-Son à Fribourg et le Post Tenebras Rock de Genève sortent de ces années là. Ce qui a changé aujourd'hui, c'est évidemment l'avènement d'internet, mais aussi l'existence de pléthore de clubs. La population a l'embarras du choix, l'offre culturelle est énorme et les autorités sont plus conciliantes, ce qui fait que la scène musicale peut paraître moins revendicative."
Justement, à quoi ressemble la scène musicale suisse ?
" C'est difficile de généraliser. Le trait majeur est qu'il existe deux marchés au niveau de l'industrie musicale : on dit souvent que c'est plus facile pour un la création de petits labels et de micro-structures autonomes. Les Puts Marie, qui viennent de Bienne, de véritables punks, sortent de cet univers alternatif-là. Le Do It Yourself est bien implanté aujourd'hui... quand on pense que l'on peut enregistrer son disque depuis sa chambre à coucher ! La scène musicale suisse ne déroge pas à la règle."
Improbable. Tous les formats sont donc représentés en Suisse - l'énorme machine Jazz de Montreux côtoie la petite salle punk et crasseuse. " La proposition musicale est incroyable pour un si petit espace... Elle est particulièrement variée. Peut-être parce que la Suisse est composée de multiples cultures... Je ne sais pas. C'est stressant et motivant à la fois, de devoir se faire une place parmi toute cette offre. " Étrange pays où l'on a pu voir les premières saillies scéniques de Swans, où Suicide a été souvent programmé et où l'on taille le gazon devant des établissements bancaires impeccablement entretenus.
Après tout, le paradoxe a son charme et comme le disait un suisse fameux, Jean-Luc Godard : " Quand j'entends le mot culture, je sors mon carnet de chèque."
Stereotrip, c'est quoi ?
C'est la nouvelle dénomination des soirées trimestrielles dédiées à la scène musicale d'un pays ou d'une ville (qui prennent forme depuis l'ouverture de Stereolux). Question de ne pas se perdre en voyage !