Une expo de photo participative pour sortir la tête des soucis et témoigner son existence

Signal, s'il en fallait, de notre volonté à exister - nous aussi - malgré les soubresauts que le monde culturel rencontre ces derniers mois, la vie a repris ses droits, avec joie et engagement, mercredi 2 février 2022, dans le hall de Stereolux. En invitées d'honneur : quatre femmes en parcours de rue, venant inaugurer l'exposition de photographie participative qu'elles ont réalisée ces derniers mois, et présentée, en accès libre, jusqu'au 15 avril. Récit sur ce moment suspendu, vu de l’intérieur.

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Des femmes en galère, mais pas en manque d’inspiration

L'émotion est palpable. Les regards parcourent les planches de cette exposition, puis les sourires s'entrecroisent. C’est une expérience renouvelée de ce qu’on appelle « vernissage », et l’audience affiche une mine réjouie. Il faut dire que cette exposition n'a rien de commun. Elle est le fruit d'un projet initié par Stereolux, en relation avec La Cloche (association luttant contre l’exclusion des personnes sans domicile) et confiée à L'Œil parlant (association développant des projets de photographie participative). C’est cette complémentarité qui permet aujourd’hui que les photographies commentées de Anna, Ayda, Jacqueline et Sabine soient accrochées là, dans une institution culturelle nantaise. « C’est le croisement des compétences et la légitimité de chacun·e qui permet ce genre de projet » explique Mélanie, responsable de l’action culturelle de Stereolux. Un travail collaboratif donc pour un projet participatif. 

C'est en octobre dernier qu'a débuté le projet. Après une première initiative en mars 2020 pour mettre en lumière les invisibles, sous la forme d’une exposition photo d'Adeline Praud, on passe la seconde. Cette fois il s'agit de laisser des personnes parler elles-mêmes, d'elles-mêmes. « Le point de départ était de proposer un atelier photo à des femmes en leur confiant un appareil photo. C’est un regard à la fois intime et universel qu’elles nous livrent ici » nous raconte Mélanie.

C'est l'association La Cloche qui a tout d'abord sensibilisé des femmes à ce projet. « Nous avons proposé cet atelier photo aux femmes rencontrées dans les accueils de jour pendant plusieurs semaines » m’explique Caroline. C’est d’abord sept, puis six, puis quatre femmes tout au long du projet, qui se sont rencontrées, chaque semaine, à Stereolux ou ailleurs, pour se montrer leurs photos, compléter leurs carnets de bord et poursuivre l’aventure. Pour Caroline, l’intérêt de ce projet est de montrer « que ce sont des personnes comme tout le monde, qui ont des joies, des peines, des vies à raconter ». 

Armandine et Séverine de L'Œil parlant se positionnent, elles, comme « facilitatrices ». Elles ont appris aux participantes à faire de belles photos, mais là ne s’arrêtait pas leur rôle : il s’agissait avant de tout de les aider à formuler leurs émotions, retrouver de l’estime de soi et le pouvoir d’agir. Parce qu’au final, « ce sont peut-être des femmes en galère mais pas des femmes en manque d’inspiration ! ». Leur pratique est celle de la photographie d’intervention sociale par le biais de laquelle elles essayent modestement de permettre une transformation collective et personnelle. « Ce projet est un peu le niveau 2 pour contrer l’invisibilité : il donne les moyens de prendre la parole directement, de se raconter soi-même » nous explique Armandine. En effet, il ne parle pas à la place des personnes, mais positionne les personnes comme expertes de leur propre situation.

Sortir pour exister  

L’idée de départ de cet atelier était d’imiter le guide culturel ‘Sortir’ avec un point de vue décalé : quels sont les lieux qui comptent pour les quatre participantes ? Où se sentent-elles bien ? C’était aussi l’endroit pour raconter leurs rendez-vous  et “bons plans”, car sortir c’est exister. Un guide pour sortir la tête des soucis. EXIT ► EXISTE. 

Trois des participantes sont présentes au vernissage. Fuyant parfois les regards un peu trop curieux, elles se font néanmoins une joie de témoigner et de montrer leur travail. Il y a d’abord Sabine qui me présente sa série de portraits mettant à l’honneur ses compagnons de rue. Les consignes données par L'Œil parlant l’ont aidée à garder le cap du projet, jusqu’à l’exposition. « C’est surréaliste pour moi ! » nous lance-t-elle. 

Ayda ensuite me montre avec émotion le portrait de sa maman habitant en Tunisie et qu’elle n’a pas vue depuis deux ans. Ces activités lui permettent de rencontrer des gens, de ne pas rester enfermée car « la solitude me tue », mais aussi de s’exprimer et raconter son histoire. « C’est la première fois que je réussis à faire un truc comme ça, je suis fière ». Grâce à ces activités, quand elle rentre, les pensées se calment dans sa tête et elle peut enfin dormir.  

Dans l'euphorie du moment, je m'emporte un peu : « On se connaît non ? ». Cette question (qui, promis, n'était pas une technique de drague !) m'amène à discuter avec une des personnes présentes, venue encourager ses amies dans ce grand coming out. Oui, nous avons déjà dû nous croiser, ici même, car Laurent a été lui-même à la rue fut un temps, et venait de temps en temps boire un café dans nos murs. « Le plus difficile, c'est la solitude. Ça fait du bien d’exister, d’avoir du lien, ne pas être juste là, seul, à attendre que ça se passe ». Échec et mat. Décidément, c'était un moment en suspens, pour chacun de nous, redessinant notre vision de la culture, sa fonction, notre fonction.

Car cette exposition s'inscrit résolument dans notre projet associatif, et plus particulièrement notre plan RSE qui accorde une place particulière à la notion de droits culturels sur laquelle toute l’équipe de Stereolux a été formée en octobre 2021. Ceux-ci visent à faire reconnaître le droit de chaque personne à participer à la vie culturelle, de vivre et d’exprimer sa culture et ses références, dans le respect des autres droits humains fondamentaux. Cette notion, revendiquée dans la Déclaration de Fribourg en 2007, est reprise dans la loi NOTRe, relative à la nouvelle organisation territoriale en 2015, en faisant une responsabilité conjointe des collectivités locales et de l’État. « Reconnaître, respecter et renforcer la dignité de chaque personne », voici le sens des droits culturels.

 

Ce projet de photographies participatives, permis par la collaboration et la mise en commun de trois expertises (l'accompagnement des personnes en précarité, la facilitation artistique, l'accompagnement et la diffusion au sein d’un projet culturel), est une pierre à l'édifice, pour inviter à changer de regard sur ce qui fait culture : au final, n'est-ce pas notre simple humanité ?

par Julie Haméon