Action culturelle et jeune public

Depuis plus de vingt ans, les activités artistiques et culturelles à destination du jeune public se sont multipliées. Pour la première fois dans l’histoire de l’association Songo (portant le projet culturel et artistique de l'Olympic puis de Stereolux), la saison 2014/2015 a proposé des spectacles et des activités – scolaires ou extra-scolaires – pour toutes les tranches d’âge de l'enfance et de la jeunesse, de trois mois à seize ans. Une étape marquante pour un travail initié il y a dix-sept ans.

Laurent Mareschal 

 

Si l’on n’a pas découvert le jeune public au XXIe siècle, ni même au XXe (Guignol ! Comtesse de Ségur ! Mère Michel !), si l’on n’a pas attendu 1981 pour emmener des classes voir Molière au théâtre ou au cinéma (L’Avare de Louis de Funès !), il est indéniable que nos chères têtes blondes font, depuis vingt ans, l’objet d’une attention croissante et sont les destinataires d’une offre de plus en plus variée et élaborée, notamment dans le domaine du spectacle vivant. Toutes les disciplines (théâtre, danse, musique, arts numériques, arts visuels...) sont désormais déclinées pour les jeunes publics – de plus en plus jeunes. Rares sont devenues les structures culturelles dont la programmation ne comporte aucune proposition de cet ordre.

Cette dynamique vient d’ailleurs de trouver une illustration institutionnelle (et – qui sait – le signe d’un nouvel élan) dans la manifestation La belle saison avec l’enfance et la jeunesse, lancée à l’échelle nationale par le ministère de la Culture.

Cette évolution est le produit de plusieurs facteurs. On y retrouve les préoccupations progressistes du vénérable mouvement de l’éducation populaire et les ambitions de démocratisation qui nourrissent les politiques culturelles depuis quelques décennies. Après tout, pour qui veut développer l’égalité d’accès à la culture, commencer tôt n’est sans doute pas une mauvaise idée. Par ailleurs, la perception de ce qui est accessible aux enfants a changé.

Est-ce parce qu’on les connaît mieux ? Est-ce parce qu’ils ont effectivement changé ? Est-ce parce qu’on attend davantage d’eux ? Ou parce que les adultes restent plus facilement de grands enfants et prêtent à leur progéniture des curiosités de petits adultes (pendant qu’eux-mêmes continuent à lire Spirou) ? Quoiqu’il en soit, non seulement le jeune public au spectacle (ou à l’exposition, au cinéma, etc.) est devenu pratique relativement courante, mais le spectacle jeune public – de même que le livre pour enfants – est devenu un genre à part entière que l’on explore, développe, segmente et raffine.

Ajoutons que les actions à destination du jeune public ont peu à peu conquis une certaine faveur des politiques publiques, notamment celles des collectivités territoriales. Cela ne va pas sans tiraillements, comme en témoignent par exemple les heurs et malheurs de l’éducation artistique dans les programmes de l’Éducation nationale. On mettra ces atermoiements sur le compte d’un certain flou des objectifs (et donc de l’évaluation des bénéfices), de la persistance de la querelle entre le « Tu iras à Lagardère » des Anciens (kikou Alain Finkielkraut) et le « Lagardère viendra à toi » des Modernes, de la frayeur devant l’ampleur des moyens financiers qu’il faudrait engager pour aller au fond des choses. Reste qu’il y a malgré tout – avec des hauts et des bas – plus d’argent qu’il n’y en avait il y a vingt ans, même si pas assez, loin s’en faut. 


Un bon pas pour le petit d’homme

Rien de tout cela ne se produirait sans la conviction et le travail d’acteurs de terrain et d’artistes.
Peut-être parce qu’elles avaient elles-mêmes (et ont toujours) une légitimité à imposer et un iceberg à faire émerger, les scènes de musiques actuelles, pour la plupart nées dans les années 1990, ont souvent et rapidement marqué une volonté d’ouverture à leur environnement, un intérêt pour l’action culturelle au sens large, pour la médiation, en particulier au travers de rencontres avec les artistes programmés. Cet intérêt s’est assez logiquement étendu aux plus jeunes, notamment par le biais de partenariats avec des établissements scolaires volontaires. Il est maintenant inscrit dans leurs missions.

Installé en 1995, l’Olympic s’est lancé dans l’action culturelle. Le désir de faire découvrir de nouveaux artistes animait la programmation, il était assez naturel que ce militantisme s’étendît à d’autres formes d’action. Au fur et à mesure que le projet s’intéressait aux arts numériques (Scopitone à partir de 2002, Stereolux depuis 2011), l’action culturelle a participé au mouvement.

Il ne s’agit pas tant de former des spectateurs avertis – et encore moins de futurs artistes – que de contribuer à ouvrir des horizons et ce, à la population la plus large possible. De montrer de façon tangible qu’il n’y a pas que la télévision (où les formes sont toujours les mêmes), que la musique ne se réduit pas aux têtes de gondole, que ce que l’on consomme se fabrique et pourrait être fabriqué autrement, que la technologie n’est pas un monde d’objets univoques, mais un réservoir d’outils dont les usages sont aussi à inventer, que l’interaction ne s’arrête pas nécessairement à celle qui est prévue, que l’art est une chose que l’on peut s’approprier. Bref, de décentrer le regard et de contrer une certaine passivité.

A Stereolux, grâce aux efforts conjoints de Mélanie Legrand et Sonia Navarro (action culturelle) et de Cédric Huchet et Yeliz Ozen (programmation arts numériques), l’action jeune public marche donc sur deux jambes : la diffusion et la pratique. La première comprend, d’une part une programmation de spectacles ou d’expositions spécifiques (voir ci-dessous) qui font l’objet de représentations publiques et de représentations scolaires ; d’autre part des concerts scolaires organisés ad hoc (c’est ainsi que des élèves de primaire ont pu voir, ces dernières années, Gong Gong, Hocus Pocus, Pony Pony Run Run, French Cowboy et bien d’autres). La seconde jambe est moins visible. Il s’agit d’ateliers de création menés par un artiste, avec ses outils, autour d’un projet précis : dessin animé, montage sonore, narratif ou musical, voire dispositif multimédia... Dans certains cas, ces travaux sont intégrés à une création publique de l’artiste. Ces ateliers ne sont absolument pas conçus comme l’amorce d’une formation individuelle. Ils sont une expérience à vivre, collectivement : une occasion de faire autre chose, autrement.

La plupart de ces ateliers sont proposés dans un cadre scolaire, et s’appuient sur un réseau croissant d’établissements souvent fidèles. Car cette voie – outre d’évidentes synergies pédagogiques – est la garantie de toucher toutes les catégories de population, y compris celles pour qui, par éloignement géographique ou social, cette démarche est la moins naturelle.

Reste la question qui sous-tend toujours les débats sur la démocratisation culturelle : est-ce que ça sert à quelque chose ? Oui, de même que l’art sert à quelque chose. Est-ce que ça change tout ? Non, mais rien ne change tout. Est-ce que ça change quelque chose ? Oui, de manières très diverses selon les enfants. En ce domaine, finalement, l’obligation de moyens prime sans doute sur l’obligation de résultat. Un travail éducatif, donc jamais achevé, à la fois modeste et très ambitieux. Est-ce qu’on peut en être fier ? Oui.

L'action culturelle de Stereolux pour le jeune public et la jeunesse en chiffres (2013)

- 38 spectacles et concerts scolaires pour 5 123 élèves

- 2 800 visiteurs scolaires des expositions

- 33 ateliers de création pour 734 élèves

- 72 établissements scolaires partenaires

- 8 ateliers de création hors temps scolaire pour 68 participants