Satori : au-delà du réel

Du brouillard,une mystérieuse sculpture lumineuse et une musique hypnotique pour une création immersive et sensorielle troublante et inédite

Mathieu Perrichet

Quand deux artistes atypiques et n’oeuvrant pas dans les mêmes disciplines projettent de créer un spectacle ensemble, on peut s’attendre à tout, mais rarement à du formaté, à du classique. La preuve avec l’improbable combinaison que forment Étienne Jaumet, ce musicien electro épris d’instruments analogiques, membre du groupe Zombie Zombie, et Félicie d’Estienne d’Orves, une «sculptrice multimédia». Lors de leur premier contact il y a quatre ans, le coup de foudre artistique est presque instantané.
« On a eu envie de faire quelque chose ensemble, de se stimuler mutuellement avec nos deux univers à la fois différents et proches », se rappelle le musicien.

En 2013, cette collaboration voit enfin le jour via notamment une prochaine résidence des deux artistes à Stereolux. Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, leur point de départ sera le morceau Satori d’Étienne Jaumet, cette claque sonore de 10 minutes sortie en 2011 chez Versatile Records. Le titre fait référence au terme bouddhique désignant « une sorte d’éveil du subconscient, un état particulier tant ancré dans le réel que détaché de celui-ci » explique l’intéressé.
Une notion plutôt abstraite donc mais en accord parfait avec l’univers des deux artistes puisque, si Félicie s’intéresse « aux frontières psychiques du spectateur, au conditionnement du regard », Étienne recherche quant à lui, par sa musique, « un état de détachement, de perte de repères en enveloppant l’auditeur de sensations. » Pour un peu, on croirait entendre deux dealers faire l’article d’un puissant hallucinogène – et la suite de leurs déclarations ne fait que renforcer cette impression.

S•y•m•b•i•o•s•e

Sur scène, le résultat prend l’allure d’une imposante sculpture présentée en contre-jour, filtrant ainsi la lumière, à grand renfort de brouillard et de faisceaux lumineux. Le public perçoit une forme nouvelle qui, peu à peu, l’immerge. L’armature initiale, sombre, laisse alors place à une structure lumineuse fondant sur le spectateur. « La sculpture est conçue comme une interface de transition, une frontière perméable entre plusieurs réalités. Je m’intéresse à la façon de discerner la lumière, à son déploiement », précise Félicie d’Estienne d’Orves. Un élément que l’artiste retrouve et apprécie dans les longs déroulés qu’offre la musique d’Étienne Jaumet : « Son travail apporte une dynamique plus rythmique, un aspect encore plus immersif à ce que je fais. » Trippant, on vous dit.

Côté musique justement, le bidouilleur electro (et saxophoniste) s’attache à jouer en direct, 40 minutes durant, adaptant ses sons à la création visuelle : « Rien n’est enregistré, je n’utilise que des instruments analogiques. Cela me permet de beaucoup improviser et de fonctionner au feeling. Nous interagissons tous les deux avec notre art. C’est une symbiose, une rencontre où personne ne prend le pas sur l’autre. »

Hypnose

« La découverte du satori dépend d’un état de concentration ou d’un changement de point de vue. Dans le spectacle, la concentration se fait progressivement par la lumière et la musique pour percevoir la même sculpture sous différentes mises en lumière ou orientations scéniques » détaille Félicie d’Estienne d’Orves. Comme si l’oeuvre devenait, au final, la porte d’entrée vers une réalité nouvelle.

La volonté affichée par le duo est « d’arriver à un basculement progressif de perception à un moment du spectacle. Idéalement, nous souhaiterions faire perdre leurs repères aux spectateurs afin qu’ils appréhendent la réalité d’une manière différente » ajoute l’artiste. Pour Étienne Jaumet, l’idée est clairement de transporter le spectateur « dans un état entre l’hypnose et la transe ». L’excuse idéale pour faire n’importe quoi pendant cette soirée et mettre tout ça sur le dos de nos deux artistes perchés, finalement.

Satori : Étienne Jaumet & Félicie D’Estienne D’Orves