Lettre ouverte
Cette lettre ouverte fait suite à l'annonce de Christelle Morançais de mettre fin au versement des subventions à l'Association Songo (Stereolux) et plus largement à la plupart des acteurs culturels de la région.
Elle s'adresse à Christelle Morançais en sa qualité de Présidente de la Région Pays de la Loire et de Vice-présidente du parti politique Horizons ainsi qu'à Isabelle Leroy, Vice-présidente de la Région Pays de la Loire et présidente de la commission Culture, sport, vie associative, bénévolat, solidarités, civisme et égalité hommes femmes.
“Madame, Monsieur,”
Madame la Présidente, Madame la Vice-présidente,
Nous accusons réception de votre lettre-circulaire du 26 novembre, nous informant de votre décision de cesser tout partenariat avec notre association. La même lettre que celle reçue par des centaines d'associations dont vous vous apprêtez à supprimer les subventions. Songo, notre association, gère Stereolux - deux salles consacrées aux musiques actuelles, et le festival Scopitone, dédié aux cultures numériques. Nous accueillons 130.000 spectatrices et spectateurs chaque année - autour d’une programmation qui privilégie la nouveauté et la curiosité. Nous travaillons en bons termes avec la collectivité que vous dirigez depuis la création de l’association - il y a plus de 25 ans.
Nous répondons à votre courrier point par point et publiquement, car il s’agit d’un sujet de société.
“Notre pays traverse une crise budgétaire d'une ampleur inédite. Cette crise signe la fin d'une époque qui, depuis un demi-siècle, voit la France s'endetter lourdement, au mépris du destin de nos enfants et de notre capacité à investir pour l'avenir.”
Le destin de nos enfants est multifactoriel, la dette n’en est heureusement qu’un aspect. Ne croyez-vous pas que la capacité à investir est plus efficace dans un territoire dynamique, avec des acteurs en mesure de porter des projets ?
“Le Gouvernement est confronté à un niveau de déficit insoutenable qu'il doit contenir d'urgence. Un prélèvement sur les moyens des collectivités locales a été décidé ; il se chiffre à un effort de 40 millions d'euros pour la Région en 2025.“
Certes, le gouvernement fait porter aux collectivités un accroissement du déficit public dont il est seul responsable, comme Bruno Le Maire l’a tout récemment admis lors d’une audition devant la Commission des finances. Mais pour l’heure, l’Etat ne vous demande plus rien et cela ne semble pas vous inciter à tempérer votre position. Ne devriez-vous pas plutôt vous battre pour que l'État soit aussi bien géré que les collectivités territoriales et en tout cas protéger le territoire dont vous avez la charge ?
“A cette première restriction budgétaire s'en ajoute une deuxième : les recettes de la Région, qui sont indexées sur la consommation française, reculent brutalement. Nous sommes dans l'obligation de réduire nos dépenses de 100 millions d'euros.”
On ne peut pas parler d’un recul brutal : d’après votre budget 2025, les recettes de TVA de la Région continueront d'augmenter l’année prochaine, bien que dans des proportions inférieures à vos prévisions initiales. En revanche, ce sont les mesures que vous prenez qui lanceront une spirale déflationniste : les subventions que vous supprimez auront un effet fortement dépressif sur l’activité de nombreux secteurs, pesant ainsi sur vos recettes liées à la TVA. La culture - et l’économie sociale et solidaire en général - sont des secteurs économiques à part entière, particulièrement importants dans notre région, ainsi que vous l’ont rappelé les membres de la Chambre régionale de l'économie sociale et solidaire dans une lettre ouverte du 4 décembre.
“C'est un effort sans précédent dans l'histoire de notre collectivité, qui nous impose de nous recentrer sur nos compétences obligatoires et nos priorités stratégiques.”
Il ne vous l’impose pas, vous le choisissez, ainsi que vous le formulez dès la phrase suivante de votre courrier. Or la culture, comme le sport ou l’éducation populaire sont des compétences de la Région, comme en dispose indiscutablement la loi NOTRe de 2015.
“C'est un effort que nous avons choisi de concentrer sur nos dépenses de fonctionnement, afin de préserver nos capacités d'investissement, notamment en direction de nos politiques en faveur de l'emploi, de notre jeunesse ou des transitions majeures à l'œuvre dans notre économie.”
Vous choisissez de concentrer vos économies (5 % du budget de la région) sur une partie seulement de vos dépenses de fonctionnement. Ce choix par sa brutalité - va à l’encontre de vos objectifs :
« en faveur de l’emploi » : vos suppressions de subventions vont en détruire des milliers - 13 000 emplois menacés dans le secteur de l’économie sociale et solidaire selon une estimation de la CRESS.
« de notre jeunesse » : notre jeunesse ne pourra plus compter sur les missions locales, verra les politiques de prévention des risques disparaître, verra les activités culturelles se réduire, verra les clubs de sport en difficulté, perdra tout un ensemble d’interlocuteur·rices qui l’aident à monter des projets d’avenir.
« des transitions majeures à l'œuvre dans notre économie » : vos suppressions de subvention touchent l’égalité femme - homme, les organismes consulaires, la recherche, la transition écologique, l’agriculture… Quelle transition vous restera-t-il ? Faites-vous par exemple référence au Planning familial dont vous vous désengagez ?
Et quels investissements allez-vous financer sans acteurs en capacité de porter des projets ? Ne croyez-vous pas que c’est le rôle de vos dépenses de fonctionnement que d’assurer l’existence de ces acteurs ?
En somme, vos choix donnent un coup d’arrêt au dynamisme de la région.
“Dans ces conditions difficiles et inédites, nous nous trouvons dans l'obligation de réviser et de prioriser l'ensemble de nos politiques publiques, mais aussi de renoncer à la plupart de nos partenariats, dont, malheureusement, celui qui nous lie à votre structure.”
L’association Songo y perd 76 000 euros. Ce montant nous permet d’accueillir environ 19 soirées de concerts dans notre salle “Micro” dédiée aux artistes émergent·es, soit les estimations suivantes :
43 groupes accueillis, dont un tiers d’artistes régionaux·les
plus de 4000 heures de travail (artistes, technicien·nes, personnel de bar, programmation, production, communication, accueil)
plus de 200 heures de prestations de sécurité
plus de 100 nuitées d’hôtel
près de 20 000 € de commandes de marchandises
plus de 350 repas commandés à notre prestataire de catering
une centaine de prestations de location de matériel, graphiste, pigiste, imprimeur, diffuseur, ménage
sans compter les retombées économiques générées par nos publics (hôtellerie et restauration par exemple).
Une fois encore, la culture crée de la richesse, sociale et économique. Partout dans la région, l’activité des acteurs culturels va être réduite. Dans d’autres structures que la nôtre, vos choix se traduiront par la disparition pure et simple des activités, des licenciements et des dépôts de bilan.
“A noter que dans ce contexte, le dispositif e.pass culture sport ne sera en outre pas renouvelé à la rentrée prochaine.
J'ai parfaitement conscience de l'impact de cette décision et des conséquences induites mais je veux que vous compreniez que nous n'avons pas d'autre choix dans le contexte budgétaire très dégradé où se trouve notre pays.
Comptant sur votre compréhension, je vous prie de croire, Madame, Monsieur, à l’expression de mes salutations distinguées.”
Nous doutons fortement que vous mesuriez l’impact économique et social de vos décisions - prises sans aucune concertation, ni avec les acteurs, ni avec vos partenaires de toujours : les autres collectivités territoriales. Vous leur laissez la charge d’essayer de limiter les dégâts que vous allez créer. Vous avez sûrement pu prendre connaissance du mécontentement vivement exprimé par de nombreux·ses maires et élu·es de la région - que vous évitez d’ailleurs de rencontrer.
Quant à la « compréhension » que vous nous demandez, nous ne pouvons qu’exprimer notre incompréhension la plus totale devant des objectifs et une méthode aussi néfastes.
Pourquoi ? Nous en sommes réduits aux hypothèses : les Pays de la Loire sont-ils un laboratoire pour le programme du parti Horizons auquel vous appartenez ? Est-ce une tentative de dédouaner votre camp politique de sa responsabilité dans l’évolution du déficit budgétaire national ? Ou s’agit-il simplement d’un coup de communication politique qui a mal tourné ? Rien qui justifie en tout cas le mal que vous vous apprêtez à faire à notre territoire.
Vous qui, en 2021, promettiez un « plan Marshall pour la culture », vous qui vantiez le tissu associatif des Pays de la Loire « qui fait vivre et rayonner nos territoires », vous en deviendriez finalement les fossoyeuses ?
Une dernière fois, Madame la Présidente, Madame la Vice-présidente, nous vous demandons de reconsidérer votre position budgétaire et de restaurer le dialogue avec les acteurs concernés.
Veuillez agréer, Madame la Présidente, Madame la Vice-présidente, l’expression de notre considération.
Le Conseil d'administration de l’association Songo