La colonie de vacances : « Plus que la musique, c'est l'expérience » - interview
C’est au-delà du concert : une expérience à vivre, et qui ne laisse pas indemne. Depuis bientôt dix ans, La Colonie de Vacances propose un spectacle unique en son genre. Aux quatre coins de la salle, quatre groupes encerclent le public, et délivrent un math rock parfaitement synchronisé, en une véritable fusion sonore qui enveloppe le corps entier. Et après une pause, voilà une nouvelle chance de pouvoir s’y immerger. Eric Pasquereau, issu de Papier Tigre, nous explique ce qui nous attend pour ce nouveau spectacle. Et en quoi la Colonie de Vacances porte bien son nom !
Interview réalisée par Antoine Gailhanou.
1. À quel point peut-on parler d’un nouveau départ pour la Colonie de Vacances ?
E. P. : C’est plutôt une transformation qu’un nouveau départ, dans le sens où il reste une base avec les mêmes musicien·nes. Mais certain·es sont parti·es, d’autres sont arrivé·es. L’identité des quatre groupes a un peu disparu, et à la place il y a cette entité de la Colonie de Vacances : on a maintenant un trio sur chaque scène, et les groupes sont mélangés. La Colo a littéralement dévoré tous les groupes ! On a également créé tout un nouveau répertoire, une heure et demie de nouvelles musiques, où on joue d’avantage sur le format : maintenant, il y a une source de graves, une source d'aigus et des gens qui chantent sur toutes les scènes. Ce sera sûrement déconcertant pour celleux qui nous ont déjà vu·es. Personnellement, je trouve que le nouveau set est bien plus varié, en termes de dynamique, d’influence, et en même temps plus cohérent. J’ai l’impression qu’on a moins peur de faire des choses plus douces, ou plus orchestrales. Mais il y a encore des parties bien sauvages, évidemment.
Il y a une dimension unique, les gens sont bluffé·es par l’expérience, plus que par la musique.
2. Qu’est-ce qui a permis à ce projet atypique de durer plus de dix ans ?
E. P. : C’est un projet qui tient à cœur à tout le monde, qui s’est développé progressivement. On aime cette idée que c’est impossible, mais on le fait quand même. C’est dur à mettre en place, ça coûte cher, il faut monter les scènes, organiser une logistique compliquée. Et pourtant ça a lieu, et c’est agréable de se retrouver avec ces musicien·es là. On est soutenu·es, à la fois par les pros mais aussi par le public. Il y a une dimension unique, les gens sont bluffé·es par l’expérience, plus que par la musique. On arrive à créer des rapports entre les personnes du public, ce ne sont pas juste des gens qui regardent une scène et écoutent des morceaux qu’elles.ils aiment bien. Après, je ne sais pas vraiment si on est bien placé·es pour dire qu’on est précurseur·euses, ou novateur·ices : ça reste des batteries, des synthés, des guitares et des gens qui chantent. On n’est pas vraiment dans la révolution. Mais oui, le dispositif est assez unique en son genre, surtout associé à cette musique.
3. Vous dites souvent qu'il n'y a pas spécialement de bon endroit pour profiter du concert, et qu'il vaut mieux être en mouvement. C'est toujours valable ?
E. P. : Ça, c'est sûr. Il faut se laisser porter par son instinct de mouvement. S'il y a beaucoup de monde, ça peut être compliqué, mais si c'est possible, ça vaut le coup. Essayer d'aller vers le centre, pour se rendre compte de la fusion des sons, puis aller voir chaque scène. Ce qu’il faut éviter au maximum, je pense, c'est de rester statique trop proche d'une scène.
4. À quel point faut-il changer de méthode de composition pour la quadriphonie ?
E. P. : Ce qui marche souvent bien, c’est d’avoir un concept derrière le morceau. Par exemple des rythmiques complémentaires, des ping-pongs entre les scènes, ou bien démarrer avec un groupe qui joue seul puis les quatre ensemble. Ça donne une dynamique forcément impressionnante : le public va regarder le groupe qui joue seul, puis va se prendre une décharge électrique des trois autres groupes. Certains morceaux sont assez conceptuels, on va se limiter, jouer sur certains éléments précis, et tout construire là-dessus, plutôt que sur une mélodie. Mais on peut aussi composer de manière plus classique. Chacun·e a ses propres méthodes, selon son propre parcours, certain·es passent par des partitions, d’autres sont à l’instinct. Dans tous les cas, tout le monde s’adapte.
Dans un groupe aussi large, il faut être à l’écoute, on est tous·tes dans le même bateau, à ramer à la même vitesse.
5. C’est parfois difficile de se mettre d’accord à 11, et désormais 12, musicien·Nes ?
E. P. : Ce n'est pas toujours évident, il y a forcément des conflits artistiques, des méthodes différentes. Mais, comme dans tout gros projet collectif, il faut un peu mettre son ego de côté, faire des efforts pour que ça marche. Les nouvelles·aux musicien·nes ont dit que c'était le groupe le plus bienveillant qu'elles.ils aient connu. On essaie de faciliter les choses pour que tout le monde se sente à l'aise, tout en ne faisant aucun compromis sur la musique et le propos artistique. Ce côté très démocratique peut ralentir la prise de décision, par contre. Dans un groupe aussi large, il faut être à l’écoute, on est tous·tes dans le même bateau, à ramer à la même vitesse. Cette expérience collective est aussi importante que la musique pour l'efficacité du spectacle. On ne peut pas faire semblant de s'amuser.
6. Vous avez sorti un disque le 28 janvier. Quelle a été la démarche pour porter sur disque un projet avant tout pensé pour le live ?
E. P. : L'idée, c’était de sélectionner certains morceaux qui pourraient fonctionner en stéréo, et qui pourraient avoir un intérêt à écouter chez soi. Souvent, à la fin des concerts, les gens nous demandent où ielles peuvent nous écouter. On s'est rendu compte que les gens peuvent s'identifier à certains morceaux, notamment celles.ceux qui connaissent déjà le set. On voulait tenter quelque chose, et le confinement nous a aussi poussé·es à faire plus de résidences, qui ont donné de la matière. Le disque reste bariolé, parfois dur à écouter, c'est bien intense. Mais c'était une expérience chouette de sortir un peu du live, réfléchir autrement. Et on s'en est sorti ! On va peut-être nous reprocher d'avoir fait de la stéréo tout ce qu'il y a de plus simple, mais ce n'est pas grave. On voulait faire un disque accessible à tous·tes, sur n'importe quel support, et pas faire quelque chose d'élitiste.