Du pangolin anticapitaliste à la voiture-tortue : l’impact du virus sur le système productif mondial
Avec un peu de recul, le coronavirus joue un rôle révélateur des fragilités du système mondialisé actuel. La pandémie a notamment révélé le lien existant entre la production d’une voiture autonome et le destin du pangolin… Plongée dans la thématique du lien entre mutations environnementales et technique, qui sera abordée dans le cadre d’Ambivalences, pendant le festival Scopitone, le 9 septembre prochain.
En 2020, la planète s’est tenue immobile et le commerce mondial a été suspendu par l’arrivée du coronavirus. Si nous sommes resté·es abasourdi·es face aux bouleversements provoqués par ce virus à ARN, la possibilité que survienne une telle crise était évoquée de longue date. Ce que fait notre économie globale au vivant en étant la cause désignée.
Le pangolin révolutionnaire
La pandémie, nous rappelle, de manière saisissante, combien nous sommes lié·es aux autres espèces. À tel point, que le coronavirus a été présenté comme un acte de revanche du pangolin. L’animal qui a été considéré, dans un premier temps, comme étant à l’origine du virus. Une hypothèse qui a depuis été écartée.
En effet, le pangolin est l’un des animaux les plus braconnés au monde pour sa chair et ses écailles utilisées en pharmacopée traditionnelle. Leur commerce illégal se déploie de l’Afrique à la Chine et a mené deux des huit espèces existantes au bord de l’extinction. Pour cette raison, les pangolins sont souvent présentés comme les victimes type d’un capitalisme échevelé et mondialisé.
Soupçonné d’être l’hôte ayant permis l’émergence du coronavirus, le mammifère a bénéficié d’un répit sous la forme d'une interdiction de vente, qui lui permettra, peut-être, d’échapper à l’extinction. Pour reprendre un slogan écologiste bien connu le virus serait « la nature qui se défend ». À ce titre, le pangolin s’est même vu transformé en icône anticapitaliste.
L’ARN et le silicium
Mais ce n’est pas uniquement son statut de victime du profit à tout prix qui a transformé le pangolin en icône anticapitaliste, c’est aussi que le coronavirus, en mettant momentanément la planète à l’arrêt, a agi comme le révélateur des interdépendances planétaires produites par le capitalisme.
La crise sanitaire a, tout particulièrement, mis en valeur la fragilité de nos chaînes d’approvisionnement mondialisées. Sous l’effet des confinements, des contaminations au travail, des politiques protectionnistes, les usines, les ports, les magasins ont dû fermer, suspendant la production, interdisant la circulation des marchandises et leur vente.
En raison d’une production principalement basée en Asie et de la concentration du secteur, les effets de cette fragilité ont été particulièrement exacerbés pour l’industrie des microprocesseurs. Quand Taïwan, l’un des principaux pays exportateurs, connaît une résurgence des cas de Covid 19, c’est toute une économie dépendante de cette chaîne d’approvisionnement déjà sous tension qui s’inquiète. Nous parlons ici des smartphones, des ordinateurs, mais aussi de l’électroménager, des voitures, de certains matériels de santé, des tracteurs pour l’agriculture...
Cette tension préexistante est multifactorielle et complexe, mais la pandémie actuelle l’a fait basculer vers la pénurie. Le prix des disques durs flambe, soudain nous prenons conscience de toute l’infrastructure qui nous autorise à acquérir ce bien.
Une infrastructure qui a brillamment été mise en récit par Vladan Joler et Kate Crawford avec le projet Anatomy of AI system. Un essai et une carte anatomique qui mettent à jour les ressources planétaires, le travail humain et les données nécessaires à la construction et l’utilisation d’Amazon Echo, des « hauts-parleurs intelligents » intégrant Alexa, un assistant personnel. En regardant cette fresque aujourd’hui, on ne peut s’empêcher de vouloir deviner les endroits où la diffusion de l’ARN du coronavirus aura joué les trouble-fête.
Crédits : Kate Crawford et Vladan Joler
La tortue, le futur de la voiture ?
Face à cette pénurie, les producteurs de microprocesseurs ont favorisé l’approvisionnement du secteur l’électronique grand public au détriment des constructeurs automobiles, perturbant la production de nouveaux véhicules. Il est estimé que cette industrie pourrait perdre jusqu’à 60 milliards de dollars en revenus cette année, quand plus de 650 000 véhicules manquaient à l’appel au premier trimestre. On parle de « bullwhip effect », l’effet coup de fouet : une pénurie en amont provoque des effets croissants tout au long de la chaîne. Certains y pressentent la fin de la logique du « flux tendu ».
L’artiste belge Melle Smets a peut être trouvé un début de réponse à cette pénurie mondiale, avec une voiture « 100 % made in Ghana ». Elle a été créée en douze semaines grâce au savoir faire et à l’inventivité des artisans du recyclage du quartier industriel de Suame Magazine. La Smati Turtle 1 est locale, durable, réparable et frugale. Sous le capot de la « tortue », vous ne rencontrerez pas un seul microprocesseur, de quoi déjouer les effets du coronavirus.
Titre : Tailer Turtle English, 2014
Crédits : Melle Smets
Le coronavirus a eu bien des effets au-delà de la crise sanitaire et de l’arrêt momentané de l’économie mondiale. Il entraîne d’ores et déjà une réorganisation profonde des chaînes d’approvisionnement et sonne la fin de certains modèles de production reposant sur le flux tendu, la poursuite du moindre coût et la mondialisation. Le futur nous dira, s’il ouvrira la voie à une nouvelle écologie de la production dont bénéficieraient le pangolin comme la tortue.
Article rédigé par Pauline Briand