« Nous, les invisibles ?! » - interview de la photographe Adeline Praud

On les dit « invisibles », alors... si nous les mettions en lumière ? Adeline Praud réalise, à notre invitation, une série de portraits de personnes le plus souvent invisibilisées par la société : immigrants, publics en situation de précarité, en situation de handicap, etc. Avant d'exposer ces portraits dans le hall de Stereolux à l'occasion du temps fort IN·VISIBLE(S), du 12 au 15 mars, la photographe nantaise revient sur ce projet riche en rencontres et en histoires. 

Qu'est-ce qui t'a motivée à te lancer dans ce projet ?

Je développe depuis quelques années un travail aux États-Unis, qui traite de l'addiction, plus précisément de ses causes et conséquences sociales et politiques. Il y a encore peu de temps, je me sentais terriblement déconnectée de Nantes, qui demeure mon port d'attache. J'y enseigne. J'y ai créé une association (L'Œil Parlant). J'y travaille. Au travers de ce projet – NOUS, Les Invisibles ?! - je me suis reconnectée à mon territoire et j'ai rencontré de nombreuses personnes certes abîmées, mais qui ont beaucoup à partager, je veux dire des valeurs, des histoires, etc. En tant qu'auteure photographe documentaire, je me sens vraiment à ma place lorsque je travaille avec/auprès de personnes que la société rejette dans les marges.

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Comment identifies-tu et contactes-tu les personnes que tu photographies ?

Ce projet est une invitation de Stereolux qui m'a laissé carte blanche sur le travail artistique. J'ai donc pris contact avec les relais sociaux de Stereolux. J'ai d'abord rencontré les responsables pour leur présenter le projet, puis, soit je suis allée à la rencontre des personnes individuellement (ça a été le cas par exemple au Restaurant social Pierre Landais, ou au Secours Populaire), soit j'ai présenté le projet collectivement aux usagers des structures, et certains d'entre eux ont pris contact avec moi par la suite.
Beaucoup de personnes se sont désengagées au fur et à mesure. C'est tout à fait normal lorsque l'on travail avec un public fragilisé. Cette expérience - être photographié puis exposé – ce n'est pas rien. Je ne veux pas qu'elle soit une source de stress ou d’inquiétude pour les personnes qui s'y engagent. Pour celles qui sont allées jusqu'au bout, ce projet est plutôt une source de joie et de fierté je crois.
 

Ces photos sont accompagnées d’un court témoignage de la personne photographiée, comment recueilles-tu ces mots ?

Avant de photographier les personnes, je passais du temps avec eux, afin de comprendre leur parcours de vie. Parfois, cela n'était pas possible car je ne voulais pas laisser passer une lumière intéressante. Dans ce cas, nous faisions le portrait d'abord, et l'entretien ensuite. Je n'avais pas de grille d'entretien. Cela a été très fluide. Parfois, je profitais d'une marche à la recherche du bon endroit ou d'un trajet en voiture pour enclencher les discussions. Ça c'est fait de manière très naturelle. Je crois qu'une fois que les personnes décidaient qu'elles étaient partantes pour le projet, elles étaient prêtes à la fois à être diriger le temps du portrait, et à se dévoiler le temps d'un échange. Évidemment, avec les personnes en situation de handicap, c'était un peu différent. Elles étaient tout à fait capables de consentir ou non, et d'interrompre l'expérience si cela ne convenait pas, mais c'est principalement à travers les témoignages de leurs éducateurs que j'ai recueilli des informations.

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Adoptes-tu la même approche à travers tes différents projets, aux Etats-Unis et en France ?

Dans le cadre d'une commande, tu dois être rapide et efficace. Lorsque tu travailles sur un projet personnel, c'est différent, notamment car les enjeux ne sont pas les mêmes. Par exemple, je ne pensais pas que mon projet aux USA s'étirerait sur 4 ans. J'en suis très heureuse, car si j'avais voulu aller plus vite, je ne pense pas que j'aurais pu apprendre autant. Pour ce qui est de cette invitation que m'a faite Stereolux... Je collabore régulièrement avec l'équipe, principalement en tant qu'artiste intervenante, sur des projets de création en milieu scolaire. Je dirais qu'il y a un rapport de confiance mutuel et que c'est assez génial de travailler de cette manière. Si je compare ce projet avec le projet que je mène au USA, je peux dire que leur point commun c'est le grand plaisir que j'ai à rencontrer les personnes que je photographie. Ce que j'aime particulièrement avec les personnes qui ont été abimées, c'est que souvent, elles n'ont pas de filtre, elles te disent les choses comme elles sont, et si elles ont besoin de te remettre à ta place, elles le font. Ça donne lieu à de belles leçons de vie.
 

Peux-tu déjà nous partager une ou deux rencontres / anecdotes issues du projet “Nous, Les Invisibles ?! » ?

Honnêtement, chaque rencontre a été différente ; c'est aussi ce qui fait la richesse de ce projet. Je remercie particulièrement Hélène qui a eu besoin que l'on échange beaucoup avant de prendre la décision de participer. Nos discussions m'ont permis de trouver la bonne forme à ce projet. Aussi, je me méfie du rapport de domination potentiel entre photographes et photographiés (particulièrement quand tu vas à la rencontre de personnes fragilisées), alors, quand l'acceptation n'est pas acquise et qu'elle doit être réfléchie, c'est important d'en tenir compte et de ne jamais chercher à persuader une personne. J'ai adoré écouter Guyslaine me parler des valeurs qu'elle a voulu transmettre à ses enfants, la manière dont elle s'est confiée sur son boulot de caissière. Je me suis « amusée » à suivre Fodé Moussa qui a voulu que je découvre deux structures sociales qui font un travail incroyable auprès des plus démunis. Mais encore une fois, j'ai adoré chacune des rencontres ! Je suis très heureuse du résultat de ce projet, ma frustration c'est qu'il ne dit et ne montre pas assez de ce que vivent les personnes en très grande précarité.

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