Avec Manifestement Phia, Stereolux donne carte blanche à la Compagnie Non Nova - Phia Ménard

©Clément Thoby, d'après une photo de Jean-Luc Beaujault

Rédigé par Ysé Sorel.


Il y a de ces endroits qui vous renvoient en miroir votre parcours, les différentes couches qui s’y sont sédimentées évoquant vos propres strates : s’y condensent des souvenirs, des odeurs, des images, et aussi des apprentissages. Stereolux, pour Phia Ménard, se dresse sur un tel territoire de signes, et dispose des atours de ce que l’historien Pierre Nora  appelle un « lieu de mémoire ».

Établi dans un chantier naval, où son père a travaillé, laissé ensuite à l’abandon et investi, comme beaucoup d’autres friches industrielles, par des squats d’artistes à l’époque où elle débarquait à Nantes, découvrant une ville en pleine effusion culturelle, avant de devenir la scène musicale qu’on connaît, cet espace incarne sa trajectoire : alors que tout la destinait à, elle aussi, travailler sur des chantiers, elle est devenue artiste. Là où s’élève désormais Stereolux, les répétitions de La Véritable histoire de France, par Royal De luxe, une grande référence du théâtre de rue de l’époque, l’enthousiasmaient, lui offrant une plongée dans un monde du spectacle et de l’extraordinaire où elle tient aujourd’hui une place prépondérante. 

Phia Ménard revient alors dans cet espace matriciel avec deux spectacles qui ne le sont pas moins : deux solos, inscrits dans le cycle des « Pièces du Vent », devenus des pièces phares du répertoire de la Compagnie Non Nova. Le premier, L’après-midi d’un foehn (2011) est issu à l’origine d’une commande du Muséum d’histoire naturelle de Nantes, et son titre renvoie à l’incontournable œuvre de Claude Debussy, « L’Après-midi d’un faune », et au vent transalpin nommé « foehn ». Le deuxième, VORTEX (2011), s’offre comme véritable plongée dans l’œil du cyclone pour penser l’anormal, le jeu des apparences et des rôles sociaux – naissance et mort s’y côtoient pour proposer de nouvelles métamorphoses. 

Dans les deux cas, Phia Ménard met en scène des sacs plastiques, de ceux que l’on trouve encore parfois sur certains marchés, condamnés à errer sur la planète au gré des vents et des tourbillons durant une éternité imputrescible. Le plastique, comme sur la Terre où il a acquis le statut de « septième continent », y est omniprésent ; il évoque la pollution, notre dépendance au pétrole, ces entraves très banales qu’implique notre système assoiffé d’hydrocarbures, tout en dévoilant ses possibles poétiques.  

De par son travail avec les éléments naturels comme avec les déchets, Phia Ménard peut être considérée comme une artiste « écologique ». Elle témoigne, aussi bien dans son être-même que dans ses œuvres, que le naturel et le culturel sont les deux faces d’une même pièce, complètement imbriqués : elle invite à considérer chaque chose comme pouvant être à la fois ou successivement naturel et culturel, humain et non-humain, masculin et féminin, profane et sacré, un déchet et une œuvre. En cela, son approche est fondamentalement queer, déplaçant nos regards et nos attentes pour offrir des expériences inédites. 

Le reste de la programmation est à l’image de cette « indisciplinée » revendiquée, elle dont on ne sait jamais comment catégoriser les spectacles : résolument engagés, ses choix reflètent ses faveurs pour le décloisonnement, et son goût pour la rencontre des champs, des mondes et des êtres. Considérant que l’artiste endosse un rôle politique dans la cité, aux côtés des intellectuel·les et des politicien·nes qu’elle fait intervenir, elle a invité l’artiste colombien Ivan Argote. Comme elle, il s’intéresse à la sémiotique du pouvoir, et sa série Fallen met en scène les matérialisations ostentatoires du politique. Son installation vidéo Levitate suit notamment le trajet de l’obélisque qu’il fit construire et qu’il souhaitait déposer Piazza del Popolo ; le monument se brisa lors de l’intervention. Comment Phia Ménard n’aurait-elle pas pu être amusée et touchée par cette faillite du symbole phallique par excellence, cette déconstruction du patriarcat en acte, elle qui a fait de ce combat un des fers de lance de son travail et de ses luttes ? 

Refusant de se complaire dans le défaitisme, viscéralement humaniste, la voie qu’elle dessine résonne avec les voix des chanteuses de Protest Songs qui s’élèveront pour chanter, en italien, anglais et français, la résistance et l’espoir, offrant un moment de communion. À cela s’ajouteront des temps de fête, moments exutoires où les corps rassemblés battront la mesure et les idées noires au son des beats de La Phiasta. 

Cette carte blanche prend ainsi, en nos sombres temps, une valeur manifeste, traçant la ligne directrice que Phia Ménard défend en chaque chose : créative, combative, collective.